dette4.jpgComme la célèbre collection, mon article pourrait s’intituler ainsi : « Explication de la dette française pour les nuls ». Non que celui-ci s’adresse à des «nuls », mais la réponse à une question apparemment simple, « la France est-elle en faillite », me paraissait alors réservée à une élite d’économistes avertis.

Je me suis donc fixé un double objectif, d’une part savoir si l’Etat était réellement en « faillite » et d’autre part de répondre à cette question par l’emploi de raisonnement simple, en « bon père de famille » que je suis.

Commençons donc par le début et par réexaminer ce qu’on nous donne pour évidence. Certaines me parurent rapidement insolites pour le profane que je suis. Certainement avaient-elles du sens pour les grandes pensées de l’économétrie, mais que pouvait bien vouloir dire dans le monde réel ce postulat communément admis (établi lors du traité de Maastricht pour définir les critères de convergence la monnaie unique), que le déficit public ne devait pas dépasser 3% du produit intérieur brut (PIB) et la dette 60% de ce même PIB? Pourquoi comparer un déficit et une dette au PIB de la France ?

Reprenons le problème par des comparaisons simples. Si nous considérons que les recettes de l’Etat représentent nos revenus et que le déficit public correspond à un notre solde débiteur à la fin du mois (Hélas ! il arrive que nous soyons en débit avant la fin du mois de nos jours). Alors rapporter le déficit public au PIB, lequel représente l’ensemble des biens et services produits par la France sur une année (les économistes donneront peut-être une définition plus conventionnelle), correspondrait à comparer notre solde débiteur au revenu de l’ensemble de notre famille. Ce qui, on le regrettera, est rarement le point de vue de notre Banquier. Celui-ci considèrera, à juste titre, notre solde au regard de nos revenus, donc par analogie il comparerait le déficit public, non pas au PIB, mais aux recettes de l’Etat. Le budget net de l’Etat se monte à environ 250 milliards d’euro et le déficit se rapproche en moyenne (depuis 2000) de 50 milliards d’euro (soit environ 20% des recettes de l’état). Ceci équivaut à un solde débiteur chronique de 300 euro pour Monsieur Dupont qui gagne 1500€ net mensuel (soit environ 23 400 euro brut par an, ce qui correspond à peu prêt au salaire médian en France).

De même les dettes de l’état pourraient être comparées à un crédit fait à un particulier. Ce crédit peut être nécessaire par exemple si Mr Dupont a besoin d’acheter une voiture, il peut même être rentable si Mr Dupont utilise cette manne financière pour investir par exemple dans l’achat d’une maison, il sera par contre franchement mal venu si cette argent ne sert qu’à rembourser la mauvaise gestion de Mr Dupont. Dans tous les cas, à moins de considérer que tous les biens produits par la France puissent être levés par l’impôt, la capacité de remboursement dépend, une fois encore, moins du PIB que des recettes de l’état. En effet notre banquier se fiera aux revenus de Mr Dupont pour lui accorder ou non un crédit et peut-être aussi à son âge, son poids… mais ceci est une autre histoire…

La dette de l’état (toutes administrations confondues) s’élève environ à 1500 milliards d’Euro. Comparé au 250 milliards de recette, cela équivaux à un crédit de 108 000 euro pour Monsieur Dupont. La France rembourse environ 40 milliards en capital (qu’on nomme « charge » de la dette) et autant en intérêt par an. Ce qui rapportait à la dette globale, correspond chez Mr Dupont à des traites mensuelles de 480 euro dont 240 euro ira au remboursement de son emprunt et 240 euro constituera les intérêts pris par la Banque (soit 3%).

On peut noter que Mr Dupont est tombé sur un banquier particulièrement sympa, car il lui a accordé un prêt sur 38 ans, mais qui en contrepartie l’a endetté « jusqu’au cou ». En fait la France n’emprunte pas directement l’argent, elle se finance aujourd’hui essentiellement par l’émission de titres obligataires (OAT, BTAN et BTF) par l’intermédiaire des banques qui obtiennent le marché par adjudication (sorte d’enchère). Ces titres sont ensuite proposés sur le marché, l’achat de ces derniers permet le financement de l’état, en retour l’état verse au détenteur des intérêts (appelés coupons ou calculés à partir d’une courbe de taux) et s’engage à le rembourser en général à l’échéance du titre. La durée de vie de ces titres va de 1 mois à 30 ans, et plus rarement jusqu’à 50 ans. Plus la durée du titre est courte, plus les taux d’intérêts sont bas (en novembre 2009 le taux actuariel de référence pour les bons du trésor et OAT est de 0,3% sur 1 mois et de 4.2% sur 30 ans). Ces titres arrivent en moyenne à échéance au bout de 6-7 ans. Comme Mr Dupont, la France ne peut pas rembourser d’un coup toutes ses dettes, elle doit donc « réemprunter » pour rembourser les titres arrivés à échéance du terme.

Sur les 300 euro de débits de Mr Dupont, il y aura donc 240 euro dus au payement des intérêts de son crédit, soit 80% du montant de son solde débiteur. On peut considérer que la raison première du solde débiteur de Mr Dupont est son incapacité à rembourser ses traites et que seulement 60 euro (soit 20% de son déficit) est due à sa mauvaise gestion.

Pour revenir à un solde positif Mr Dupont est dans l’obligation d’emprunter à nouveau le montant correspondant à son solde débiteur soit 300 euro, cette somme s’ajoutant à son crédit initial diminué du montant de sa traite soit 108 000€ – 240€ (montant de la traite)= 107 760 €, pour passer à 107 760€ + 300€ (montant du débit) = 108 060 €. Par conséquent lors de chaque exercice (ici les traites mensuelles de Mr Dupont) il fera augmenter sa dette de 60 euro supplémentaire sans rien avoir pu rembourser de son crédit initial. L’état français suite à la crise pétrolière a commencé à s’endetter (depuis 1978). Nous avons depuis remboursé environ 1500 milliards d’euro et Nous devons toujours… 1500 milliards d’euro.

Heureusement la France possède des « actifs non financiers » ; hôpitaux, châteaux, terrains etc.. pour un montant équivalant à celui de sa dette. L’état français détient également des « actifs financiers » dont le montant total correspond environ à 40% de sa dette. Par extrapolation on peut présumer que Mr Dupont a approximativement 43 200 euro sur un compte épargne et qu’il pourrait récupérer environ 108 000 euro (soit le montant de son crédit initial), s’il était amené à vendre sa voiture et ses meubles.

Résumons, Monsieur Dupont gagne environ 1500 euro net, il a un crédit de 108 000 euro, a des traites qui représentent moins de 33% de ses revenus et il a une belle petite somme de côté de 43 200 euro. On ne peut pas considérer à priori que Mr Dupont est surendetté, même si sa situation est difficile, concernant la France on dira qu’elle est solvable. On ne peut donc pas parler de « faillite », mais Mr Dupont, comme la France, n’est pas en mesure dans les conditions actuelles de diminuer son crédit, ce dernier augmentera indéfiniment, et arrivera un moment ou Mr Dupont sera incapable de faire fasse à ses créanciers, ce sera la banqueroute. On dira que la dette de la France n’est pas soutenable.

Comment Mr Dupont peut-il rembourser ses dettes ?

Mr Dupont peut espérer que son entreprise fasse des bénéfices, et lui donne des primes en plus de son salaire. Pour la France on parle de croissance, c'est-à-dire l’augmentation du PIB d’une année sur l’autre. Cependant comme pour Mr Dupont, il n’est pas sûr que les recettes de l’état bénéficieront des fruits de la croissance. Car la croissance ne créait pas toujours des recettes fiscales supplémentaires ou tout du moins pas suffisamment.

Tout d’abord parce que la croissance ne créait pas toujours des emplois, on dit généralement que pour créer des emplois il faut que la croissance soit supérieure aux taux de productivité. Par exemple si dans l’entreprise de Mr Dupont il y a 2 fois plus de commande, mais que Mr Dupont qui gérait auparavant 3 commandes par jour, est suffisamment productif pour en gérer 6, l’entreprise de Mr Dupont n’embauchera pas. Le taux de productivité en France sur les dix dernières années est d’environ 1.6, si le taux de croissance n’est pas nettement supérieur à celui-ci, il n’y aura pas d’emploi créé, voire certains seront supprimés. De surcroit une personne qui retrouve un emploi, ne sera plus à la charge de l’Etat et son employeur paiera des charges patronales certes, mais celui-ci n’aura pas nécessairement une meilleure rémunération et son taux d’imposition sera sensiblement le même. Ainsi la croissance ne se traduit pas nécessairement une augmentation de la consommation, hors les recettes de l’état dépendent massivement de la TVA (plus de 60% des recettes de l’état en 2010) et à contrario l’augmentation du PIB n’induit pas toujours la création de richesse (par exemple le déstockage).

De tout cela on peut penser que la croissance ne permettra pas à elle seule de rembourser la dette. Au mieux permettra t’elle un budget à l’équilibre (ce qui fut le cas par exemple en 2000 et en 2007). Concrètement au mieux Mr Dupont peut espérer de son entreprise, si la conjoncture lui est favorable, qu’elle lui accorde une prime de 40 euro, ainsi le montant de son remboursement équivaudra à celui de son solde débiteur, il remboursera 240 et sera en débit de 240. Mr Dupont devra trouver autre chose pour rembourser sa dette !

Il lui reste la possibilité de vendre ses actifs, mais tous les actifs ne sont pas liquide et ne trouveront pas facilement preneur (que faire d’un château ? d’un parc ?). En outre la vente de certains biens peut occasionner de nouvelles dépenses. Par exemple sans voiture Mr Dupont devra payer les transports en communs (si l’Etat n’est plus propriétaire il devra louer..). Enfin Mr Dupont pourra difficilement se passer d’un lit et de ses vêtements, tous ses biens ne sont donc pas vendables, sans que ce dernier en pâtisse lourdement. Précisons également que la dette est à 80% détenue par l’Etat et que les actifs non-financiers sont essentiellement détenues par les collectivités. On peut donc considérer qu’une grande partie des meubles de Mr Dupont appartiennent à sa famille et qu’il n’est pas en mesure de les vendre comme il l’entend.

Mr Dupont pourrait « taper » dans ses économies, mais celles-ci ne lui rapporteront plus d’intérêts, ce qui diminuera ses revenus et augmentera son déficit peut-être d’avantage que le gain escompté.

La France a un autre levier dont Mr Dupont ne dispose pas. Elle pourrait jouer sur la monnaie, mais cela paraît peu envisageable dans le contexte de l’euro.

Pour que Mr Dupont rembourse il n’a pas d’autre choix que de demander une augmentation de salaire ou de diminuer ses charges afin de faire 300 € d’économies tous les mois (ce qui correspond à environ 50 milliards pour la France). Dans le premier cas, il faudra que son employeur soit capable de l’augmenter et dans le second il faudra savoir ce que Mr Dupont est prêt à sacrifier (moins de sorties, des repas moins chers..). Pour la France il s’agit d’augmenter les impôts pour augmenter les recettes et diminuer ses coûts en diminuant ses prestations sociales.

Ce gain (de 50 milliards) est loin d’être facile à obtenir, à titre d’exemple une augmentation d’environ 5 point de la TVA (pour passer de 19.6 à 24.6) induirait un gain inférieur à 2% sur les recettes de l’état. Il en faudrait 10 fois plus…

A l’évidence Mr Dupont devra probablement agir sur tous les leviers à sa disposition, car un seul ne suffira pas.

Maintenant que nous savons combien Mr Dupond doit économiser, la question reste de savoir combien de temps ?

Notons que Mr Dupont n’est pas obligé de rembourser l’intégralité de son emprunt. Il peut utiliser sa ligne de crédit comme une sorte de « crédit revolving » à condition qu’il soit capable de rembourser ce qu’il dépense, sans quoi sa dette augmentera indéfiniment.

La question pour Mr Dupont est donc moins de savoir comment résorber sa dette que de définir l’effort qu’il est prêt à y consacrer et surtout pourquoi faire?

S’agit-il d’un simple réajustement ou de rembourser intégralement son emprunt ? Souhaite-t-il rembourser suffisamment pour réemprunter pour investir à nouveau ? Combien, à quelle échéance et pour quel avenir?

Pour Mr Dupont ces questions devront l’aider à remettre tout à plat (retraite, impôt, pouvoir d’achat, temps de travail, santé, éducation etc..), pour définir ce qu’il veut et ce qu’il est prêt à faire pour y arriver, et ainsi répondre à la seul et unique question qui vaille la peine : que vaut ce qui lui coûte et que coûtera ce qu’il veut ?

Aïe ! Aïe ! Aïe ! Ça va mal !

Tous les chiffres présentés ici proviennent de l'INSEE et du ministère des finances.

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